LAURENT MATTIO
MAÎTRE DE LA PEINTURE PROVENÇALE (TOULON,1892-1965)
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1 - La peinture de Laurent Mattio vue par Alice Mattio


Le peintre dans son atelier de Sanary


Avec un tableau qui leur ouvre une fenêtre sur un paysage, Laurent Mattio fait rêver ses acquéreurs. Il les emmène en vacances toute l'année. Les paysages qu'ils ont contemplés à Porquerolles ou ailleurs désormais leur appartiennent, exaltés comme une pierre devenue précieuse après avoir été taillée par le lapidaire. Ils ont appris à distinguer les couleurs jusque dans l'ombre ou l'écorce des arbres. Leur regard a changé. L'artiste a ainsi réussi son oeuvre, les a enrichis. Nul ne reste indifférent à cette oeuvre forte, colorée, joyeuse.

Ces évocations suscitent des sentiments, incitent à la contemplation. C'est en cela que Laurent Mattio pourra être qualifié d'expressionniste, sans les distorsions pratiquées par d'autres artistes. Il suit en cela la densité qu'il a donnée à son dessin, ces noirs, ces gris, ces blancs qu'il voit en couleurs. Mattio donne corps à son sujet par la pose d'une pâte riche, appliquée au couteau en touches plus ou moins longues et nuancées, qui confèrent de l'épaisseur à son sujet et qu'il opposera à des espaces lisses ou transparents.

Il y a une entente, un échange, qui se crée entre celui qui contemple la toile et son auteur. Ceux qui le peuvent s'offrent petit à petit une dizaine et plus de Laurent Mattio. Certains sacrifieront l'ordinaire pour s'offrir le sujet convoité. Tous ne passent pas par une galerie ou une exposition. Trouvant le chemin de l'atelier ils viennent y faire leur choix. S'y noueront de solides amitiés.

Sa première maîtresse: la nature. Il souffre quand des "aménageurs", des massacreurs, la font rentrer dans les rangs en la corsetant, en bétonnant les bords de mer, en cassant ses perspectives par des immeubles, en introduisant une rigueur matérielle mathématique, la privant de son charme, de son authenticité, de sa fraîcheur...

Loin de la capitale, de ses salons, de ses modes, de ses outrances, de sa renommée, de sa grisaille et de ses espaces limités, il magnifie le pays qu'il aime, où il est né dont il a analysé tous les caractères. Avec le soleil, les lumières plus ou moins colorées, et celles franches des voiles des bateaux de pêche, leur installation toujours différente dans ce paysage vivant, on peut lire la connaissance qu'il a de ce monde de la nature et de ces petites gens qui font vivre un pays sans pour autant, discrètement en faire des vedettes. Ils sont complices. Il est des leurs... Humble et libre.


2 - Exposition à la Maison du Cygne, 2 mars 2012. Introduction par Alice Mattio.

Le privilège de l'âge me vaut d'ajouter quelques souvenirs personnels.

J'ai connu Laurent Mattio et Odette pendant leur exil à Vougy après l'ordre d'évacuation qu'ils avaient reçu, le port de Sanary étant miné.

Ma famille et celle d'Odette se connaissaient bien. Mais j'ai d'abord été séduite par la peinture de Laurent qui m'a figée devant la vitrine de l'ébéniste roannais chez qui il exposait, si différente de celle que nous offraient les artistes locaux.

Ensuite c'est son fils qui m'a séduite.

J'ai vu peindre Laurent depuis juillet 1951 date à laquelle je suis arrivée à Toulon après notre mariage. Nous habitions la même maison.

Il y avait des jours où il aurait fallu mettre un écriteau sur la porte: "ne pas déranger". Cela aurait signifié que Laurent était en pleine passion créative.

La toile était dessinée depuis la veille ou quelques jours auparavant. Il fallait la couvrir dans la journée. En commençant en haut, à gauche. L'atelier embaumait la térébenthine et la fumée des inséparables gauloises. Les jours suivants, la grosse fièvre était retombée.

Et le filet de fumée nous indiquait que Laurent, dans son fauteuil près de la fenêtre, mûrissait lentement son projet, touche par touche, tour à tour levé, délayant puis posant la couleur, puis assis, réfléchissant, ne quittant pas la toile du regard.

L'heure du repas devenait alors variable, Odette se gardait bien de casser le rythme. Mais la cuisine elle-aussi est un art. Le fumet d'une bonne daube lui faisait parfois délaisser ses pinceaux pour quelques instants. Et le soir au coucher tous deux tiraient le chevalet au pied du lit.

Lorsque je suis arrivée, ce ne sont pas les monuments de la région que Laurent m'a montrés. Notre première sortie a été pour St Mandrier où se trouvaient les derniers témoins d'un patrimoine en voie de disparition. Il y avait encore deux tartanes devenues inutiles concurrencées par d'autres moyens de transport. Une autre était amarrée à la Coudoulière qui ne transportait plus les tuiles à la marque du cygne. Ses jours comme ceux de la fabrique étaient comptés.

Depuis les temps ont changé. Avec le tourisme et les résidences secondaires le paysage lui aussi a changé. L'espace naturel de la côte a été urbanisé, construit de maisons faussement provençales derrière des haies ou des murs monotones et rectilignes. La grève elle-même a été aménagée pour le confort des promeneurs, en tuant la poésie et la charme. Laurent Mattio ne pourrait plus y planter son chevalet.

Toute sa vie il n'a eu de cesse de fixer, de mettre en valeur, les particularités de cette Provence à laquelle il était viscéralement attaché. Loin de Paris, de ses modes et de ses célébrités, il s'est efforcé de montrer ces choses simples qui sont l'âme d'un pays La mer et ses bateaux certes, mais aussi ces paysage issus de mains d'hommes, ces vieilles maisons de village, ces portails marquant l'entrée des propriétés, ces routes poudreuses sous le pas des moutons des chèvres et des bergers, ces lieux de prière, oratoires et chapelles. Une vie paisible à l'ombre de grands arbres près d'une rivière, les collines et d'autres choses que l'exposition vous fera découvrir.

Il admirait Ziem et Monticelli. Il prendra la suite de Montenard et de Nardi. Cette présentation nous révèle soixante ans de travail intense allant de la pochade sur nature en petit format conservée en guise d'archive, reprise en tableau de plus grande taille travaillé en atelier.

Soixante ans, c'est englober aussi ce travail acharné des études. Encore enfant il entre à l'école des Beaux Arts de Toulon à l'âge de 13 ans. Les cours ont lieu de cinq à sept ou de huit à dix heures du soir. Sa famille n'ayant que de très modestes revenus, Laurent allait au Faron cueillir la cousteline, le pèbre d'aï et la farigoulette pour acheter les fournitures nécessaires. Le désir passionné de fréquenter l'école de dessin Grandjean du nom du mécène qui en permit son financement, lui vint d'une rencontre inopinée alors qu'il jouait avec des camarades sur le bord de la rivière des Amoureux à Toulon. Il avait dix ans. Un peintre était là fixant le paysage sur la toile. Ce fut le choc qui orientera sa vie. Il était doué Laurent. Ses professeurs l'encourageaient. L'obtention du prix offert par le Ministre de l'Instruction Publique signa la fin de la fréquentation de l'école toulonnaise. Pour continuer et entrer à l'Ecole des Beaux Arts de Paris, l'un de ses professeurs, Edmond Barbaroux, s'employa auprès de le municipalité pour lui faire obtenir une bourse. Il fallut batailler. Et en attendant vivre de petits boulots. Mais un fois obtenue celle-ci s'avérait bien insuffisante. Il faut être particulièrement décidé à suivre une voie aussi ingrate que l'Art, dans une ville où, sous le vasistas de son atelier, le peintre se réveille frigorifié et la moustache transformée en oursin de givre. La faim, le froid, eurent bientôt raison de sa santé. A la déclaration de guerre de 1914 il fut réformé. Une chance en somme, qui lui permit de continuer ses études. Après 8 ans difficiles vécus à Paris il put enfin retrouver Toulon et les paysage connus et aimés .

Petits boulots encore avant qu'un poste de professeur à l'Ecole des Beaux Arts de son enfance soit libre. Ce seront 8 années qui ensuite s'écouleront. Il se marie en 1926 avec Odette Mainaud, elle-même issue, de l'Ecole des Beaux Arts de Lyon et médaille d'argent de cette ville. Naitra Jean-Gérard leur fils en 1927. Après plusieurs expositions qui rencontrèrent du succès, Laurent se sentit en mesure de vivre et faire vivre sa famille de son art. Il quittera, en accord avec Odette, la sécurité de l'emploi de l'Ecole des Bx Arts, pour se consacrer uniquement à la peinture. C'est en 1931 qu'il s'installeront dans un atelier situé au dessus de la boulangerie de Sanary, proche de la mairie. Avec vue sur le port.

La demande de certaines galeries lui fera négliger celles de Toulon. Il n'y reviendra qu'après 1946 au retour de son lieu d'exil familial à Vougy dans la Loire, où il séjournera 2 ans après l'ordre d'évacuation de son atelier de Sanary en 1944. C'est au Pont du Las à Toulon que Laurent s'installera et peindra jusqu'au jour fatal du 29 janvier 1965.

Il laisse à sa famille, à ses amis, à ses acquéreurs, une oeuvre riche de son travail, de son talent, d'une peinture claire et joyeuse. Le privilège de cet héritage est aussi une responsabilité. Il y a dans ces images d'un temps passé tout un patrimoine artistique, historique et culturel, fait pour être partagé par le plus grand nombre, à transmettre pour la postérité. Il a vécu des heures inquiétantes et difficiles, Laurent. Malgré tout il n'a rien peint de sombre. Je cite son ami journaliste Raoul Noilletas, disant de lui : "Il a retenu cette pensée d'Anatole France: L'artiste doit aimer la vie et nous montrer qu'elle est belle. Sans lui nous en douterions. Avec Laurent Mattio nous n'en doutons plus".